MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 28 février 2011

P. 13. Quelques ombres sibyllines...

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(Ph. JEA/DR).


Quelques ombres escortent
le passage obligé des heures
et pastichent pêle-mêle
les peines de mort
et les amnisties porte-clefs

le soleil s’est pris les pieds
dans un tapis de nuages
et rate une marche
vers la Sambre
ou la Meuse

l’hiver prépare ses valises
sous les yeux fatigués
des arbres costumés
pour le carnaval des cieux

un chien soprano
un peu soporifique
mordille colérique
le pied bot d’une colline

les draps de lit de la rivière
restent froidement froissés
et des crétins homophobes
cherchent un gué
pour le massacrer à la massette

tant de fausses sollicitudes
pour tant de vraies solitudes

tant d'herbes refoulées
pour cause de folie

tant de mémoires écaillées
par l'écume des absences

là-bas
voyez se déroulant
une course de side-cars pour oiseaux
se défoulant en pagaille…


(Ph. JEA/DR).

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jeudi 24 février 2011

P. 12. Blum, Mendès France, Fabius, DSK : mêmes crachats !

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Extrait d'une publication du Secrétariat aux Questions Juives. Vichy vomissait son antisémitisme  sans avoir besoin d'un doigt nazi enfoncé dans sa gorge (Doc. JEA/DR).

Béraud, Céline, Costantini, P.-A. Cousteau, L. Daudet, Le Pen, Ploncard, Poujade, J. Renaud, Vallat...
avec Jacob et Frêche en mouches du coche

Avertissement.
Ce manège-là tourne automatiquement dès que des discours, thèmes et termes de droite et d'extrême droite se confondent et sortent du fond des placards les antiennes de l'antisémitisme...
Premier temps. Un responsable, un porte-parole de parti cherche à transformer les débats politiques en arènes. Au programme : terrasser publiquement un ennemi déclaré avec des armes certes un peu émoussées mais ayant fait leurs preuves depuis au moins l'affaire Dreyfus.
Deuxième temps. Le même haut beau parleur feint s'étonner d'avoir mis les pas dans ceux fangeux des Béraud et Cie. Mais il ne regrette rien car la réussite se trouve garantie : le public visé décode le message en son entier et s'en gausse grassement.
Troisième temps. Vite fait bien fait, ses amis accoutrent l'agresseur en... victime, en martyr de sa cause (et parfois en remettent une couche avec les oripaux d'un "génie" honteusement opprimé).
Quatrième temps. Des activistes au sein desquels se glissent des révisionnistes, sonnent le tocsin. Ils dénoncent celles et ceux qui ne se lassent pas d'éclairer aussi le présent avec les lueurs du passé pour espérer des lendemains qui ne déchantent pas.
L'enjeu ? Empêcher qu'il soit rappelé, preuves à l'appui, quand et comment des Français sont capables d'insulter, de diffamer, voire même de pourchasser jusqu'aux massacres d'autres Français. Via des motifs raciaux.
La méthode ?  Moucharder les "autres", tout qui estime ne pouvoir perdre cette mémoire des persécutions mais au contraire la partager. Distiller sur ces "autres" des calomnies méprisantes (mais suffisantes). Agiter les épouvantails de la bienpensance, de la correction de la pensée, du flicage de service, des lobbys plus ou moins occultes, des lynchages hystériques, des médiocrités définitives, des pruderies frigides, des ridicules que le ridicule ne tue pas, du terrorisme intello, des veuleries sans roses...

Dans ce contexte et sans se laisser intimider, rien que quelques éléments d'archives. A se remettre en mémoire ou à découvrir. Au départ de l'actualité.

Christian Jacob, sur Radio J :

- "[DSK] ce n'est pas l'image de la France, l'image de la France rurale, l'image de la France des terroirs et des territoires, celle qu'on aime bien, celle à laquelle je suis attaché."
(14 février 2011).

Serge Klarsfeld a sursauté. Avec dans l'oreille le discours de Xavier Vallat devant le Parlement, le 6 juin 1936.
A notre estime, deux autres échos semblent plutôt donner du volume et colorer la déclaration du président du groupe UMP à l'Assemblée nationale.

Je suis partout :

- "M. Léon Blum n'est ni du Nord, ni du Centre, ni de l'Est, ni de l'Ouest, ni du Midi de la France. De quelle famille se réclame-t-il ? A quelle terre se rattache-t-il ? Quel est son terroir ?"
(27 octobre 1934).

Retour à la Terre :

- "Il est évident qu'une race de tendance et d'esprit essentiellement nomades comme la race juive est, par définition, incapable de concevoir que l'attachement à la terre, et à l'organisation économique fondée sur une vie agricole solide, constituent la base de la vie des autres races." 
(Propagande de Vichy, éditions de l'Europe Future, s. d., 30 p., p. 9.)


Une de La Libre Parole - Porc-Epic, 1 juin 1936 (Doc. JEA/DR).

Que ce soit pour s'en réjouir (car il reste des nostalgiques sans oublier les révisionnistes) ou pour le déplorer, Blum symbolise une "valeur sûre et indémodable" des judéophobes. Outre l'image du juif errant, d'autres clichés antisémites abondent à son encontre. Quelques exemples.

Léon Daudet :

- "Blum : hybride ethnique et hermaphrodite."
(L'Action française, 2 décembre 1933). (1)

Jean Renaud :

- "Rien n'y fera, et le Léon Blum, dont la peur est comique depuis qu'il s'est aperçu que les arbres de Vincennes poussaient en forme de gibet ou de poteau d'exécution, reste et restera pour nous l'ennemi public numéro un, dont la France sera, qu'il le veuille ou non, débarrassée comme on le fait d'un tas d'immondices ou d'un paquet de pourriture."
(Solidarité française, 13 février 1936). (2)

Xavier Vallat, à la tribune du Parlement :

- "Votre arrivée au pouvoir, monsieur le président du conseil, est incontestablement une date historique. Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné... par un juif !
(...)
Messieurs, je ne comprends rien à cette émotion car, enfin, parmi ses coreligionnaires, M. le président du conseil est un de ceux qui ont toujours - je trouve cela tout naturel - revendiqué avec fierté leur race et leur religion.
Alors je constate que pour la première fois, la France aura eu son Disraeli (3).
(...)
Je n'entends pas dénier aux membres de la race juive qui viennent chez nous le droit de s'acclimater comme tant d'autres qui viennent se faire naturaliser.
Je dis, parce que je le pense, - et j'ai cette originalité ici, qui quelquefois me fait assumer une tâche ingrate, de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas - que, pour gouverner cette nation paysanne qu'est la France, il vaut mieux avoir quelqu'un dont les origines, si modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol, qu'un talmudiste subtil.
(...)
J'ajoute que lorsque le Français moyen pensera que les décisions de M. Blum auront été prises dans un cénacle où figureront, à leur ordre d'importance, son secrétaire, M. Blumel, son secrétaire général, M. Moch, ses confidents, MM Cain et Lévy, son porteplume, M. Rosenfeld, il sera inquiet."
(6 juin 1936). (4)

Léon Daudet :

- "Du fait de la République, régime de l’étranger, nous subissons actuellement trois invasions, la russe, l’allemande et notamment la juive allemande, l’espagnole. La crapule de ces trois nations s’infiltre et s’installe chez nous. Elle y pille, elle y corrompt et elle y assassine. Ce mouvement immonde annonce la guerre. La domination du juif Léon Blum, totalement étranger à nos mœurs, coutumes et façons de comprendre et de ressentir, multiplie actuellement le péril par dix." 
(L'Action française, octobre 1936).

Couverture du Charivari, février 1937 (Doc. JEA / DR).

Céline :

- "Douze Hitler plutôt qu'un Blum omnipotent."
(Bagatelles pour un massacre, Denoël, 1937, p. 318). (5)

Henri Béraud :

- "Histoire de France en main, Léon Blum est l'homme qui nous a fait le plus de mal. Et, pour le malheur des juifs, cet homme est un juif. Un juif qui, pour accomplir son œuvre de ruine et de mort, s'était entouré de juifs.
La France abattue se soulève et regarde. Elle cherche à se souvenir. D'où lui vient tant de misère ? Sa main passe en tremblant sur son front, ses yeux s'ouvrent, elle achève de s'éveiller ; elle voit, elle sait : ceux qui l'ont jetée là, bâillonnée, ligotée, sans force, ceux qui, l'ayant conduite à la bataille l'ont fait battre, puis l'ont abandonnée, ce sont des passants, des nomades, des hommes aux figures sombres, aux mœurs cyniques, aux noms mal traduits d'une langue inconnue, aux propos remplis d'astuce, aux fureurs messianiques et révolutionnaires.
Actifs et remuants, ils semblaient nombreux, ne l'étaient guère et pourtant se trouvaient partout. Ils occupaient les meilleures places, barraient tous les chemins, imposaient leur loi, remplissaient leurs poches, interdisaient les coutumes, bafouaient les croyances, outrageaient la famille, excitaient le peuple, démoralisaient l'enfance, désarmaient les soldats, salissaient le drapeau, brisaient les alliances, exigeaient la guerre, exportaient leur fortune et se préparaient à fuir le désastre.
Est-il besoin de mettre un nom sous ce portrait ? Vous le voulez ? Alors, un seul, le modeste singulier pour le pluriel infini, l'unité pour le tout, la tête pour le corps, le meneur pour la foule sans nombre...
Lorsque le Bulgare à lorgnon s'assit dans le fauteuil de Richelieu, il n'arrivait pas les mains vides. Il avait, comme on dit, un programme, et ce programme il l'accomplit sans faiblesse. Il s'agissait, premièrement, de remettre la France aux mains d'Israël ; secundo, de briser l'âme française ; tertio, de venger, par tous les moyens, la juiverie internationale et, pour finir, de nous conduire, par le chemin de la guerre, à l'anarchie. C'était, dans toute sa rigueur et toute sa pureté, le programme des «Sages de Sion» (6)."

(Article de Gringoire, repris dans Sans haine et sans crainte, Editions de France, 1941). (7)

Pierre-Antoine Cousteau : 

- "Rien n'empêchait de coller au mur Mandel, Blum et Reynaud et de les mettre ainsi à égalité avec les pauvres gens qui sont tombés pendant la campagne de France, et qui, eux, n'étaient certainement pas responsables de cette guerre criminelle."
(Je suis partout, 23 mai 1942). (8)


Jacques Ploncard : 

- "Des cris comme le "Je vous hais !" de Blum accompagnés de tout un frémissement de son corps sont des symptômes qui ne sauraient tromper. il existe une hystérie collective juive (...).
Bénédikt, Charcot et de nombreux auteurs reconnaissent que l'hystérie est plus l'apanage des Juifs que des Aryens. D'après leurs observations il s'agit surtout d'une hystérie atteignant davantage les hommes. Elle se combine d'ailleurs souvent à la neurasthénie (...).

Mais où la pathologie devient extrêmement parlante c'est lorsqu'on étudie les maladies mentales, le pourcentage juif est considérable, il traduit bien cette instabilité intellectuelle notée par tous les sociologues."
(L'Ethnie française, n°7, janvier 1943, p. 35). (9)

Pierre Costantini :

- "A-t-on oublié que les Juifs avaient réussi à installer Blum et son ghetto, légalement, républicainement, au pouvoir, à la tête de la France de Louis XIV et de Napoléon ?
Il y a encore des Juifs en France. C'est inouï : mais cela est. Ils forment un Etat dans l'Etat, un nouveau cheval de Troie que risque d'annihiler les prouesses des armées allemandes (...).
Napoléon a été traitreusement abattu pour avoir négligé de régler définitivement la question juive (...).
Mussolini a du quitter le pouvoir parce qu'il a été manoeuvré dans son entourage par les quelques Juifs qu'il n'a pas su écarter (...).
Notre défaite de 1940 a été minutieusement préparée par les Juifs..."
(L'Appel, 26 août 1943). (10)

De la main même de Charles de Gaulle, l'attestation des services rendus à la France Libre par Pierre Mendès France (DR).

Blum fut enfermé à Buchenwald après le procès avorté que Vichy avait fabriqué à Riom. Une autre figure suivait un autre destin individuel hors du commun. Alors que Pétain allait triompher grâce à la débâcle, Pierre Mendès France gagna l'Afrique du Nord pour y continuer la lutte contre les nazis. Des Français on ne peut plus Français mais antirépublicains l'y incarcérèrent aussitôt. Pour l'accuser de trahison. Avec pour circonstance aggravante ses origines juives. Renvoyé sous bonne escorte dans un pays divisé en zones occupée et zone dite libre, Mendès réussit à s'évader pour rejoindre de Gaulle à Londres.
Après guerre, Mendès France incarna des idéaux assez dérangeants pour que l'antisémitisme le poursuive encore obstinément.

Pierre Poujade :

- "Mendès... (dent de lait) n'a de Français que le mot ajouté à son nom.
(…)
Songez à la lutte anti-alcoolique déclenchée au moment où il se boit le moins d’alcool en France et par celui chez qui il s’en trafique peut-être le plus ! La santé de nos enfants, monsieur Mendès, nous nous y attachons et ne vous avons pas attendu. (…) Avouez que la santé, comme le sang des nôtres, vous vous en moquez éperdument, mais plutôt dites-nous ce que vous comptiez mettre à la place des cafés ! (…) Si vous aviez une goutte de sang gaulois dans les veines, vous n’auriez jamais osé, vous, représentant de notre France, producteur mondial de vins et de champagne, vous faire servir un verre de lait dans une réception internationale !"
(J’ai choisi le combat, Saint-Céré, Société générale des éditions et des publications, 1955). (11)

- "Depuis 1700 et quelques, vous n’avez pas été foutus de vous marier avec une Dupont, mais toujours avec une cousine à l’intérieur d’un petit cercle. La famille Mendès ne s’est jamais alliée à une Poujade ou une Durande : … c’est constituer un Etat dans l’Etat ! 
(…) A certains d’entre eux – les ministres juifs – je peux dire : cela fait combien de temps que tu es dans la maison ? … nous demandons trois générations. C’est une question de protection minimum."
(Meeting, 21 janvier 1956).

Le Pen jouant son petit Vallat devant l'Assemblée nationale :

- "Vous savez bien, monsieur Mendès France, quel est votre réel pouvoir sur le pays. Vous n'ignorez pas que vous cristallisez sur votre personnage un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques."
(11 février 1958).

Laurent Fabius sur un "brouillon" de BerthBerth. Dès qu'une porte est ouverte par une remarque tout sauf innocente, l'antisémitisme se précipite.

Pour boucler provisoirement cette ouverture de quelques archives à contenu antisémite, un nota bene : Laurent Fabius eut droit également à quelques bassesses sinistres.

Le Pen : 

- "Le mot "anus" évoqué après Carpentras par le président de l'Assemblée nationale avait en quelque sorte, dans la bouche de M. Fabius, le bruit d'une rime."
(A propos de l'affaire dite de Carpentras, 1995).

Georges Frêche :

- "Si j’étais en Haute-Normandie, je ne sais pas si je voterais Fabius. Je m’interrogerais. Ce mec me pose problème. Il a une tronche pas catholique."
(Conseil d’agglomération de Montpellier, 22 décembre 2009).

NOTES :

(1) Léon Daudet (1867-1942). Monarchiste réactionnaire, antiparlementaire, antisémite et soutien du fascisme. Pour lui, l'invasion allemande fut une "divine surprise". Mort dans son lit avant la satanique désillusion de la Libération.
(2) En 1934 décède François Coty, président de la ligue de la Solidarité française. Lui succède Jean Renaud qui prolonge cette ligue en parti du Faisceau français en 1937, année où lui-même s'autoproclame "fasciste".
(3) Benjamin Disraeli (1804-1881). Premier ministre du Royaume-Uni en 1868 puis de 1874 à 1880.
(4) Xavier Vallat (1891-1972). Sous Vichy, secrétaire général aux anciens combattants. Puis, en mars 1941, à la direction du Commissariat général aux questions juives. Condamné en 1947 à 10 ans de prison. Libéré en 1949. Amnistié en 1954.
(5) Lire le procès Céline, P. 7 de Mo(t)saïques 2.

Dans les années 20, version française d'une publication servant de référence au "gentil" Béraud (Doc. JEA/DR).

(6) Protocoles des Sages de Sion. Faux antisémite rédigé en 1901. Soit un pseudo complot judéo-maçonnique pour s'emparer de la planète. Repris et surmédiatisé par la propagande du IIIe Reich. Toujours exploité aujourd'hui...
(7) Henri Béraud (1885-1958). Passa du Canard enchaîné à Gringoire où trôna sa signature de 1928 à 1943. S'acharna à calomnier Roger Salengro, ministre de l'Intérieur du gouvernement de Front populaire, jusqu'à son suicide. Obsédé par la destruction de l'Angleterre. A la plume encrassée d'antisémitisme. Condamné à mort pour collaboration en 1944. Libéré en 1950. 

Je suis partout présentant "Popu-Roi" d'Henri Béraud, Editions de France, 1938, 239 p.
Selon la formule extrêmement élégante de Béraud, "les Juifs sont des baptisés au sécateur". D'où cette caricature de Blum... (Doc. JEA/DR).

(8) Pierre-Antoine Cousteau (1906-1958). Signature de Je suis partout. En 1946, condamné à mort pour collaboration. Libéré en 1953.
(9) Jacques Ploncard (1910-2005). Antisémite hanté par la Maçonnerie, spécialiste sous Vichy du Service des Sociétés Secrètes. A fui la France en 1944 pour le Portugal. Le régime de Salazar l'accueillit à bras ouverts eu égard à ses "compétences". Jusqu'à la révolution des oeillets. A fini ses jours en France et en toute impunité.
(10) Pierre Costantini (1889-1986). Membre de la Cagoule, à la tête du Mouvement Social Européen. Créateur de L'Appel financé par l'ambassade allemande à Paris. Jugé pour collaboration en 1952. Déclaré irresponsable...
(11) Pierre Poujade (1920-2003). Populiste xhénophobe et antisémite. Lança l'Union de Défense des Commerçants et Artisans. 50 députés se réclamant de Poujade furent élus en 1956, dont un certain Le Pen. N'a pas duré, ne s'est pas aussi enrichi et n'est point parvenu jusqu'au second tour de Présidentielles comme son poulain borgne. 

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lundi 21 février 2011

P. 11. Roger Pannequin à la Citadelle de Huy

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Roger Pannequin,
Ami si tu tombes, Les années sans suite, I
Préface d'Alain Raybaud,
Babel, 2000, 393 p.

4e de couverture :

- "Résistant de la première heure, l'instituteur socialiste Roger Pannequin combattit les armes à la main et s'évada par trois fois des prisons allemandes. Ce récit initiatique aux accents de roman d'aventures retrace l'itinéraire d'un jeune rebelle entre 1939 et 1944 et s'achève sur son adhésion au parti communiste. Là commencèrent les désillusions qui l'ont incité à témoigner."

Personnellement, je ne partage pas cette mise en perspective. Elle donne à la politique un espace surdimentionné et un parfum revanchard par rapport au contenu essentiel du livre. Ensuite, en quoi le récit serait-il "initiatique" ? Ici, un jeune instit s'engage spontanément dans une résistance quotidienne, nullement lyrique ni mythique. Il n'entre pas en religion ou en société discrète... Enfin, prêter à cet "Ami si tu tombes" des "accents de roman d'aventures", revient à dévaloriser des réalités historiques par rapport à une fiction échevelée. Alors que cette dernière se retrouve plus souvent dépassée qu'à son tour par ces histoires individuelles qui édifient l'Histoire.

Roger Pannequin a donc à peine choisi l'enseignement que le Nord de la France et son bassin minier sont foulés par les bottes nazies. Il participe très activement à la presse clandestine et à l'élaboration de tracts. Ce résistant s'arme aussi d'un revolver pour couvrir des actions de sabotage. Pour lui, pas de flou ni d'hésitations : Pétain et les occupants sont à mettre dans le même panier aux crabes. Leur tenir tête est aussi "naturel" que de chanter "L'Internationale" quand, en prison, un camarade sera emmené au petit matin vers un peloton d'exécution.

Evitant la langue de bois, cette chronique porte l'air de son temps : les angoisses accrochées à chaque jour du calendrier, l'impossibilité pratique de respecter les règles élémentaires de sécurité, les conditions précaires d'une semi-clandestinité ombreuse...
Au fil des pages surgissent des passages nullement redondants dans la littérature décrivant le quotidien au long de l'occupation du Nord.
Ainsi, en mars 1941 :
- "Chaque dimanche, tambours et fifres allemands annonçaient l'arrivée dans les corons des cuisines ambulantes de campagne. L'armée allemande offrait gratuitement à la population du bassin minier son "Eintopfsonntag" (1) ! La roulante s'installait sur le trottoir et les fifres jouaient. Longtemps. Mais les gens, pourtant affamés, rentraient chez eux, rappelaient leurs enfants aux premiers flonflons et, dans les roulantes, la rata fumait pour les oiseaux."
(P. 91).

Et en mai 1941 :
- "Les conditions d'existence devenaient difficiles dans tout le bassin minier. Les ouvriers mineurs se souvenaient qu'au moment du Front Populaire, les ingénieurs leur avaient fait abandonner les tailles de charbon les plus belles. Mais pour les Allemands, ils les faisaient reprendre ! Les salaires restaient bloqués, plus aucune réclamation n'était admise."
(P. 111).

Mais Roger Pannequin est dénoncé. La brigade spéciale de la police mobile de Lille l'arrête et le torture. Des gendarmes français en remettent. Les Allemands peuvent se contenter de rester au balcon de la Gestapo et de compter les coups. L'instit découvre la prison de Béthune puis celle de Douai :
- "Depuis juin 1940, j'avais rencontré des fonctionnaires pro-allemands, des supérieurs hiérarchiques veules. J'avais côtoyé des "gens biens", toujours prêts à profiter des occasions pour piétiner leurs voisins et leurs amis. L'action clandestine m'avait plongé dans un monde d'hommes résolus et solidaires. L'arrestation m'avait fait connaître la lie de la société humaine, les policiers corrompus et les gendarmes ratés devenus gestapistes. Voilà que la détention me jetait dans un autre monde."
(P.177).
- "Pour vérifier si le colis reçu par le détenu ne contenait pas de lime, de scie ou de message, le maton ouvrait mes paquets, mélangeait tout dans une grande gamelle, les pommes de terre cuites écrasées dans ses mains sales, le beurre malaxé par ses ongles noirs, le pain réduit en miettes, la pomme coupée en huit, le tout arrosé par le contenu d'une canette de bière :
- Tiens, machin, à la tienne !"
(P. 185).

Huy et sa Citadelle (DR).

Décembre 1942, un matin à 6 heures. Roger Pannequin et quelques-uns de ses camarades sont poussés dans trois wagons en bois tirés par une loco. Direction inconnue. Le Nord dépend alors du Haut commandement militaire allemand à Bruxelles (2). Le petit convoi transite par la capitale belge. Quand il s'arrête définitivement, la nuit est tombée :
- "Stehen sie ! Stehend ! Auf !
Il fallait se lever.
Les gardes se précipitèrent en nous bourrant les côtes à coups de crosse pour nous faire descendre. Sur le quai, on nous mit en rangs. Dans l'ombre, nous avons deviné le halètement des chiens policiers tenus en laisse. De la neige fondue tombait glaciale (...).
La route nous parut longue. On atteignait une rampe raide. Une lourde porte s'ouvrit et on nous fit monter encore un escalier (...).
Où étions-nous ? Nous pouvions parler maintenant. Dans l'obscurité, sur le quai, personne n'avait pu lire un nom de gare et nous avions dû sortir par une cour. Nous avions cru longer un fleuve (...). Nous étions chez des Allemands. Dans la forteresse de Huy (3), entre Namur et Liège."
(P. 201-202).

Ici, les souvenirs de l'instituteur sont particulièrement précieux. Pour l'attester, ce simple constat : si les travaux sur les camps nazis et autre lieux d'internement abondent et se complètent, la Citadelle de Huy, elle, n'a été, jusqu'à présent, le sujet que d'une seule thèse. Celle de Marie Lejeune (4) pour l'Université de Liège en 2001. 

Roger Pannequin est affecté à la "Zimmer sechzehn" (chambre 16) :
- "Nous étions, après notre arrivée, "drei und zwanzig Mannen". Ces vingt-trois hommes n'avaient de commun que leur détention. Français, Polonais, Italiens ou Belges, le hasard de la répartition les avait rassemblés. Un Français, employé de la perception à Béthune, avait été emprisonné pour sa participation au réseau du Musée de l'Homme (5). D'autres, en forteresse depuis plusieurs mois également, avaient échoué à Huy après la grève des mineurs de mai-juin 1941 (6). Un jeune de seize ans, ramassé par les Allemands à la place de son frère, ne semblait pas comprendre où il se trouvait et vivait en espérant une proche libération. Deux vieux communistes polonais ne connaissaient que quelques mots de français (...). Ceux qui étaient arrivés en même temps que moi venaient tous du quartier allemand de la prison de Douai (...).
Dans cette chambre vivaient également deux Belges, Jules Vankeerberghen (7), un docteur, et Georges Charon, un pilote de chasse. Une patrouille navale allemande les avait ramassés dans le détroit du Pas-de-Calais, en pleine nuit, alors qu'ils essayaient de rejoindre l'Angleterre (...).
La première chose qui nous frappa, dans cette chambrée, ce fut la maigreur des hommes, l'égarement de leurs yeux. Leurs figures étirées nous semblaient grises et noires."
(P. 203-204).

Parmi les détenus, une figure du PCB :
- "Le secrétaire général du Parti communiste belge, Julien Lahaut (8), avait raté une tentative d'évasion par la cave d'arrivée du monte-charge. Les Allemands l'avaient ramené devant toutes les chambrées réunies à l'appel, l'avaient frappé sauvagement à coups de bâtons et l'avaient laissé inanimé au milieu de la cour en interdisant qu'on l'approche. Il y était resté toute la nuit, sans pouvoir se relever."
(P. 209).

Ronde des prisonniers à la Citadelle de Huy (Arch. JEA/DR).

Huy se caractérise alors par la planification d'une disette systématique :
- "Le travail manuel suffisait à nous amaigrir. Les plus grands et les plus forts fondaient plus vite que les petits, les maigres et les nerveux, qui tenaient beaucoup mieux le coup. La famine bouleversait tout. L'attitude devant la faim classait les hommes. Au bout de quelques mois, la classification devenait définitive.
Le corps de garde allemand était nombreux, bien nourri. Le service des poubelles allemandes était recherché par quelques détenus, toujours les mêmes. Les nazis avaient trouvé amusant d'y laisser parfois des parts de rations. Les gamélards dégradés par la famine, que nous appelions "les chacals", se battaient entre eux pour s'arracher la moitié d'un poisson fumé ramassée dans les ordures. Et les Allemands riaient devant ce spectacle (...).
La faim laisse dans l'estomac une sensation de vide. La famine, ce n'est pas cela. Elle vide l'homme, bloque sa pensée. La vue et l'ouïe se troublent (...).
Dans ce monde halluciné par la faim, ceux qui font face sont rares. Ils se défendent contre les assauts du corps. Ils luttent pour ne pas redevenir des bêtes cruelles. Ils se battent pour leur dignité."
(P. 212).

Un triste matin de mars 1943, deux gardiens poussent Roger Pannequin dans le compartiment vide d'un train allemand en gare de Huy. Pour Aachen (Aix-la-Chapelle). Mais ce ne sera qu'un bref aller et retour. Avant que l'instit ne décide de participer à une tentative d'évasion, laquelle échoue pour cause de dénonciation. Le donneur en perdra la vie, malgré la protection des occupants...
Pour l'auteur et d'autres de ses camarades, la belle se situera en juillet. Il y a du 14 dans l'air :
- "Nous avons couvert la vingtaine de kilomètres qui nous séparaient de Havelange (...). Dans cette petite ville, Jules [Vankeerberghen] avait un cousin éloigné, M. Lange le notaire. Mais où habitait-il ? Nous parcourûmes quelques rues sans trouver (...). Comme Georges [Charon] avait sur lui un peu d'argent, nous sommes entrés dans un café pour boire une bière (...). Le patron nous indiqua la maison. Quand nous sommes arrivés près de la villa du notaire, des gendarmes belges ont surgi des bosquets et des rues voisines et  nous ont ceinturés. Nous nous sommes retrouvés assis à la gendarmerie devant un gradé qui (...) s'adressait à Georges.
- Georges Charon, lieutenant pilote de chasse.
Le gradé parut surpris.
- Que faites-vous avec ces deux bandits ?
Georges s'énerva.
- Des bandits ? Ce sont mes camarades d'évasion et, après guerre, vous rendrez des comptes, bande de salauds !
- D'évasion ? D'évasion ? Vous êtes des évadés ? Alors, c'est vous les évadés d'Huy ?
(...) Les gendarmes nous proposèrent de nous photographier pour nous établir de faux papiers d'identité.
(...) Le gradé me dit :
- Vous, le Français, hein, si vous retournez dans votre pays, une fois, faudra pas croire que les gendarmes français c'est comme nous, savez-vous ? Eux tout de suite, ils vous donnent aux Allemands pour la prime."
(P. 255-256).

Du Condroz, Roger Pannequin passera dans l'Aisne, retrouvera le Nord, reprendra dans la clandestinité ses activités de résistant. Des Allemands et les collabos le pourchasseront à nouveau comme "terroriste". En mai 1944, il se retrouvera pour une seconde fois derrière les barreaux de la prison de Douai. Mais ses copains dopés par le débarquement survenu en Normandie, ne le laissent pas tomber et le libèrent les armes au poing lors d'un transfert.
L'instituteur est évacué hors de la zone rattachée à Bruxelles. Il connaîtra notamment la libération de Charleville...

NOTES :

(1) Plat unique du dimanche. Dans la panoplie des instruments de propagande nazie...

(2) Militärbefehlshaber in Belgien und Nordfrankreich.

(3) Première pierre posée en 1818. Achèvement en 1823.
En 1848, des prisonniers politiques sont déjà enfermés à la Citadelle : les "Risquons-tout", des républicains refusant le choix d’une royauté pour la Belgique. Ils payèrent leur opposition de sept ans de forteresse.
A partir de 1914, alors que la Belgique est occupée une première fois, la Citadelle sert de camp disciplinaire pour des soldats allemands.
Pour la Seconde guerre mondiale, les archives comptabilisent un total de 6.000 prisonniers (politiques, raciaux, réfractaires au STO…).

(4) Marie Lejeune, La Citadelle de Huy pendant la Seconde guerre mondiale, Université de Liège, 2001.
Avec mes remerciements pour son aide préciseuse lors des recherches sur le Judenlager des Mazures et ses déportés.

(5) Dès juillet-août 1940, mouvement de résistance où s'engagèrent des personnalités aussi différentes que Jules Andrieu, Claude Aveline, Pierre Brossolette, Jean Cassou, Germaine Tillion et le premier de tous, Boris Vildé. Développa des filières d'évasion, la presse clandestine et le renseignement militaire. Les Allemands réprimèrent impitoyablement ce mouvement dès le début 1941.

(6) Du 27 mai au 9 juin 1941, grève dans les corons du Nord de la France. Pour la briser, les occupants déportèrent 270 mineurs. 130 d'entre eux y perdirent la vie.

(7) Prisonnier politique pendant 27 mois. Après son évasion, a franchi les Pyrénées. Enfermé au camp de Miranda pendant trois mois avant de pouvoir rejoindre Londres. Engagé au Secrétariat d'Etat belge à la Santé.

(8) Julien Lahaut (1884-1950). Responsable communiste, arrêté par les occupants le 22 juin 1941, jour de l'invasion de l'URSS. Après l'échec de trois tentatives d'évasion à Huy, transféré à Neuengamme puis à Mauthausen.
A la Libération, élu premier président du Parti Communiste Belge.
Succédant à son père Léopold III, le prince Baudouin prête le serment constitutionnel devant les Chambres le 11 août 1950. Du groupe communiste, une voix s'élève très clairement :
- "Vive la République !"
Le 18 août, Julien Lahaut est abattu sur le seuil de sa maison.

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jeudi 17 février 2011

P. 10. A Maissin, là où reposent 3.926 Français, attend une "tombe libre"...

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Noël Desmons est aux chemins à remonter le temps sur une moto, ce que Dominique Hasselmann est aux rues d'un Paris en noir et rouge réservé aux piétons...
D'une chevauchée fantasmagorique dans la province belge de Luxembourg, Noël a rapporté une photo en disant long sur un humour militaire qu'il est permis de supposer involontaire.

(Ph. Noël Desmons / DR).

La nécropole militaire de Maissin

Les restes de 4.782 combattants de 1914 attestent là qu'une guerre annoncée "fraîche et joyeuse" tourna dès ses premiers balbutiements au cauchemar meurtrier. Les uns croyaient partir pour s'emparer sans coup férir de Berlin, les autres, en sens inverse, s'attendaient à planter Paris sur la pointe de leur casque. Ils n'allèrent pas bien loin et se croisèrent à Maissin.
La camarde, comme une marionnette tirée par les états dits majors, faucha :  
- 282 Français et 513 Allemands en tombes individuelles ;
- 3.001 autres soldats français amoncelés en deux ossuaires ;
- 643 Français et 343 Allemands partageant le même ossuaire.

Ce massacre où se mêlerent sang et sanglots remonte au mois d'août 1914.
Le 21 août, la 4e armée française du général de Langle de Cary franchit la frontière belge pour refouler les envahisseurs allemands. Ceux-ci appartiennent à la IVe armée impériale commandée par le duc Albert de Wurtemberg.
Pour Maissin, tentèrent de s'entre-détruire avec une dramatique efficacité le 11e corps d'armée du général Eydoux et le XVIIIe corps d'armée du général Von Schenck.
Les Français sont originaires de Bretagne et de Vendé, les Allemands de Prusse et de Hesse.

Les combats débutent le 22 août à 7h. Sans préparation d’artillerie du côté français. Attaques et contre-attaques sanglantes vont se succéder jusqu’à 19h. Quand tombe la nuit, la 21e division couvre le plateau au nord-ouest de Maissin, la 22e tient le village.

Courte victoire !   
Le 23, les derniers Français battent en retraite. Ils abandonnent aux Allemands des centaines de blessés, y compris dans des villages proches : Transinne, Redu (1) et Our…


Carte d'état-major allemande (DR).

Le 22 août 19I4, Maissin entre donc dans l'histoire par la porte d'un immense cimetière résultant d'un carnage.

Abbé Paul Gérard, témoin :

- "Ce joli village est bâti sur le flanc sud d’une colline qui, au Spihoux, atteint l’altitude de 400 mètres. Au centre du village se réunissent deux grand-routes, l’une venant de Saint-Hubert, l’autre de Rochefort : elles offrent aux Allemands une grande facilité d’investissement de la localité. A partir de Maissin, ces deux voies n’en forment plus qu’une seule vers Paliseul, Bouillon, Sedan.
Au nord, à l’est et au sud, Maissin est entouré d’un vallon dont la profondeur varie de 20 à 50 mètres. A ce vallon succède la forêt : le Bolet, Champmont, la Membore, Burnobois. Les Allemands peuvent parvenir à Maissin sans être aperçus par l’adversaire.
De plus, de Villance, les Allemands découvrent la vaste plaine s’étendant à l’ouest de Maissin vers Paliseul (Bellevue) et Our.
Au sud, la forêt d’Homont cache la vue du village aux Français venant par la route de Jéhonville et de Paliseul. A la Bellevue, ils sont sous le feu direct de l’ennemi." (2)


Abbé Pirson, souvenirs :

- "Quelle inimaginable boucherie où furent sacrifiés, en quelques heures, par la bêtise de leurs chefs, des régiments entiers de Vendéens et de Bretons.
"Un vrai Français ne se bat qu'à l'arme blanche"
Génial, diraient persifleurs, les jeunes d'aujourd'hui. Stupide, disons-nous, cette consigne, secrétée par la cervelle mégalomane et imbécile de chefs qui, eux, sont à l'abri.
Ces jours-là, les Allemands n'avaient qu'à faucher à la mitrailleuse. Ils ne s'en sont pas privés !" (3)


Abbé Gérard :

- "Partout des morts et des blessés. Sur la plaine devant Haumont, les Français sont si nombreux qu’ils paraissent tombés coude à coude.
– Tel au temps de la moisson un champ de blé parsemé de bluets et de coquelicots, telle après le combat apparaissait la plaine devant Haumont, jonchée d’uniformes français.
Dans les rues, près des maisons en ruine, dans les vergers, Français et Allemands sont entremêlés. D’aucuns sont tombés empalés sur leurs armes.
Sur la plaine de la Bellevue et vers Our : des morts des deux camps.

A l’orée du bois Bolet, une compagnie française anéantie.
– A la route de Lesse, une longue lignée d’Allemands entassés les uns sur les autres.
– La crête du Spihoux est couverte d’Allemands mais aussi de Français tombés dans des corps à corps d’une violence inouïe.
Des fusils, des munitions, des havresacs sans nombre, des équipements de toutes espèces ont été abandonnés.
Le village de Maissin, peut-on dire, n’existe plus, 75 maisons ont été incendiées, il en reste 25, dispersées çà et là, gravement endommagées.

– Le bétail est décimé ; les récoltes piétinées.
– C’est la ruine totale ; c’est la désolation la plus navrante." (2)

Carte postale du "champs de bataille" de Maissin (DR).

Un habitant du village, M. Lambert :

- "Après le combat, 800 Allemands séjournèrent au village une dizaine de jours. Le capitaine Crémer réquisitionna les hommes à 20 km à la ronde pour la sépulture des cadavres. Plus de 500 civils, venus de Villance, de Libin, de Transinne, de Redu, de Sechery, de Sart et même de Chanly et d'Hatrival, furent employés à cette sinistre besogne, qui se continua du 24 au vendredi 30 aoùt. Les chevaux et les bêtes à cornes furent transportés, à l'aide de chariots et de traîneaux, dans une carrière abandonnée sur la route de Sart. Malgré le vif désir des civils, l'identification des soldats français se fit sans soin ni scrupule. Les Allemands enlevèrent les valeurs qui se trouvaient sur les soldats français, mais sans les classer individuellement. Les carnets et les médailles ne furent, en règle générale, ni recueillis, ni conservés. Indépendamment de nombreuses tombes isolées dans les campagnes, principalement entre les routes de Villance et d'Our, on créa trois grands cimetières: l'un "au courtil à spines", sur la route de Transinne, contenant 500 à 600 cadavres groupés par fosses de 6 à 7 hommes, parfois de 25 à 30, dont beaucoup d'officiers; un second à la sortie du village vers Lesse, contenant de 400 à 500 sépultures; un troisième de la même contenance et sur la même route, près du Baulet. Les cadavres des Français avaient été retrouvés surtout entre le village et le bois de Hautmont; ceux des Allemands du côté du bois du Baulet." (4)

Abbé Gérard :

- "Les Hessois arrivent furibonds, se soûlent chez Joseph Lebutte (gare) et se mettent à tuer, martyriser les habitants, à piller, incendier les maisons qui restent.
A midi, ils défilent en rangs serrés chantant le "Deuchland uber alles", le "God mit Uns", le "Victoria, Victoria".
Malgré notre dégoût, en moi-même, je me disais : " Pauvres jeunes gens, auxquels des maîtres ont enseigné qu’en temps de guerre tout était permis ; et dont les chefs orgueilleux considéraient un traité comme un chiffon de papier !"
En fin de cette journée du 23 août, un Allemand me disait "Hir groos bataille, malheur, malheur, la guerre !" (2)

NOTES :

(1) Village du Livre depuis 1984.

(2) "Souvenirs d’un témoin en premières lignes allemandes".

(3) "Souvenirs d’un enfant du siècle, Maissin 1914-1918."

(4) Témoignage in Chanoine J. Schmitz et Dom N. Nieuwland, L’invasion allemande dans les Provinces de Namur et de Luxembourg, 3e Partie, Librairie Nationale d’Art et d’Histoire, Bruxelles et Paris, 1920.

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lundi 14 février 2011

P. 9. Brèves 2 : un tout petit peu de Wallon savoureux

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Création : Noir Dessin Prod. (DR).

La première page de la toponymie condruzienne ouvrit ici les vannes de quelques étangs où le Wallon s'ennuyait d'être confondu avec une carpe attendant d'être farcie par l'oubli...
Le Wallon sons et lumières, ironie et tendresse sous des aspects rugueux.

Pour l'illustrer - mais au deuxième degré (température de saison) -, voici un  avis de bienvenue en Wallon de Liège. Parodie du style : "je ne suis pas raciste, mais..." Et d'actualité en notre époque de traque(nard)s aux Roms, de rejets (de pierres) des réfugiés...

Avertissement : si la traduction personnelle ne s'est pas déroulée tout à fait en "tapant à gailles" (en gaulant les noix, en choisissant au hasard), elle reste sans garantie de grande rigueur académique !

Lès ènocints moussîs à sots : les innocents habillés comme des sots,

lès èwarés : les benêts, les ahuris…

lès wasses : les guêpes, femmes piquantes et supposées de petite vertu,

les barakîs : ceux qui vivent dans des baraques, des marginaux, les mal fichus de la vie,

lès « rouf-tot-dju » : les personnes qui foncent à travers tout, les éléphants wallons dans un magasin de porcelaine (flamande ?),

lès bribeûx : les mendiants qui doivent se contenter de très peu

lès grosses-bièsses : les mal dégrossis dépourvus d'intelligence, les idiots,

lès crapuleûx : les débauchés, particulièrement ceux portés sur la boisson,

lès èdjalés : les (con)gelés,

lès rastacwèrs : les gens pas d'ici et bling-bling dans leur manière d'étaler des signes de richesse tape-à-l'oeil,

lès lêds djônes : les laids jeunes, en réalité et avec tendresse les enfants,

èt tot lès ôtes rêkèms : et tous les autres bandits, hors-la-loi !

Pour ne pas rester sur cette affiche faussement raciste, en voilà une autre, tout ce qu'il y a de plus officiel.


Nèni valèt : non pas question, cher ami !

Pour qui en douterait, le mariage entre homosexuels est légal en Belgique depuis 2003. Et depuis 2006, les adoptions par des parents homosexuels...

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jeudi 10 février 2011

P. 8. 10 février 1941 : les Français parlent aux Français

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Les Français parlent aux Français, 1940-1941
Choix et commentaires de Jacques Pessis, 
Conseils historiques de Jean-Louis Crémieux-Brilhac,
omnibus, 2010, 1137 p.

Février 1941.
25.000 Italiens déposent leurs armes en Lybie. L'AfrikaKorps débarque à Tripoli.
Les Allemands signent un pacte d'amitié avec la Bulgarie et leurs troupes peuvent traverser ce pays.
430 juifs d'Amsterdam sont déportés vers Buchenwald en représaille d'un sabotage industriel. 
Londres tient sous les bombardements terroristes. Promise par Hitler, l'invasion de l'Angleterre reste de l'ordre des fantasmes.
Les Etats-Unis et l'Union Soviétique ont une ambassade à Vichy qui déshonore une France. L'amiral Darlan est désigné comme successeur éventuel de Pétain.
Une autre France, minuscule mais libre celle-là, parle au "pays qu'on enchaîne" grâce aux micros et aux antennes de la BBC. Les ondes sont brouillées.
10 février 1941.
Voici, avec des mots fragiles, avec des phrases rendues maladroites par l'émotion, loin des mythologies et des effets de manches, les :

Premiers messages personnels vers la France occupée

- "Je m'appelle André, ma mère Ernestine, ma femme Georgette, ma fille Simone. Nous habitions au 6e étage, en face d'une église, pas loin du bois de Boulogne. Pendant longtemps, mon bureau a été aux Champs-Elysées. Mon frère s'appelle Georges. J'espère qu'ils m'auront reconnu. Je me porte bien. J'ai fait un long voyage et je me prépare à en faire un autre tout aussi long. J'envoie à tous mes pensées les plus affectueuses et les plus fidèles. Je ne puis leur dire qu'une chose : courage et patience."

- "Bernadette de Barfleur va bien."

- "Jacques du Mans, le pêcheur de truites et sonneur de trompe, embrasse Dédée et Fanfan et leur dit : confiance et courage !"

- "Le sergent de Kerdrec embrasse sa femme, la petite Annie et le nouveau-né, et salue ses amis de Caen."

- "Joseph, de Pontrieux, embrasse Yvette, Marie, Jojo, sa maman Augustine, son oncle et tante Yves, Marie, son frère Yves. Il espère que vous êtes tous en bonne santé; quant à lui, il se porte très bien, il pense souvent à vous et croit vous revoir bientôt. En attendant ce jour, il vous envoie toutes ses tendresses. Kenavo !"

- "L'abbé Jean P., le Solognot, embrasse bien son père Maurice, sa mère Jeanne, ses deux frères Bernard, dit Pépée, et Loulou. Tout va bien. Amitiés à l'abbé Henri F. de la Loire-Inférieure, à Andrée et Marcel. Donner nouvelles à Rev. Montgomery, Christchurch Priory, Eltham, SE9."

- "Le capitaine d'artillerie Eugène C. est arrivé en Angleterre après un long voyage. Ancien combattant de la guerre 1914-1918, combattant de la campagne de France 1939-1940, il a rejoint les Forces Françaises Libres qui libéreront la France de la domination étrangère avec l'aide de nos puissants alliés. Sa foi en la victoire anglaise est devenue une certitude. Français, Anciens Combattants, pensez à vos frères qui continuent la lutte volontairement, après avoir laissé famille, foyer, intérêts sous la botte allemande. Leur exemple vous aidera à mieux comprendfre votre devoir. Le capitaine d'artillerie Eugène C. transmet son affectueux souvenir à sa famille et à ses amis de Normandie, Région Parisienne, Bourgogne, Corrèze."

- "Jackie est toujours sans nouvelles de Jacques. Elle espère qu'il est en bonne santé et lui demande d'envoyer un câble pour la rassurer. Elle écrit toujours. Bon courage et à bientôt !" (1).


Tract à la mode de Vichy et menaçant les auditeurs des émissions de Londres.
Suivre cette "propagande... judéo-communiste" est assimilé à une "action criminelle"...
Il s'est trouvé de bons Français pour rédiger sans sourciller ce tract, pour l'autoriser officiellement, pour l'imprimer, pour le distribuer de manière comminatoire.

NOTE :

(1) Op. cit., pp 709-710.

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