MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 29 août 2011

P. 66. Pain Noir, le film

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Synopsis :

- "Dans les années suivant la guerre civile d’Espagne, marquées par la violence et la misère, un mystérieux meurtre vient secouer les secrets enfouis d’un petit village de Catalogne. Andreu, jeune garçon dont le père est injustement accusé du crime, pénètre dès lors un monde d’adultes fait de vices et de mensonges."

Philippe Azouri :

- "La sortie discrète en France de Pain noir est incomparable à l’émotion qu’a suscitée ce film en Espagne, où sa lecture des lendemains de la guerre civile - opposant deux régimes d’horreurs se parant derrière des idéaux politiques pour mieux cacher leurs secrets - a fait couler des barils d’encres polémiques...
Aux derniers goyas (les césars espagnols), le film raflait tout ou presque : neuf statuettes, dont meilleur film, meilleur scénario, meilleure photo, meilleur metteur en scène, et des récompenses par flopées pour les acteurs. En dehors du meilleur make up et du meilleur son (magnanimement laissés au reste du troupeau), Pain noir a tout pris, asseyant en Espagne le culte autour de son metteur en scène, Agustí Villaronga.
Celui-ci est surtout connu pour son inquiétant Tras el Cristal (1987), où il croisait Gilles de Rais et nazisme, torture et pédophilie. Etrangement, cette réputation, qui s’étend jusqu’aux Etats-Unis (ses films sont en DVD chez Cult Epics, et le Lincoln Center était fier, l’an passé, de le recevoir), n’a guère franchi les Pyrénées, sauf pour les trois folles de service spécialistes ès clips Mylène Farmer (laquelle lui a commandé celui de Fuck Them All)."
(Libération, 24 août 2011).

Romain Le Vern :

- "En apparence, Pain noir ressemble à une déclinaison de tout ce qui a déjà été fait dans le cinéma de genre espagnol, de L'esprit de la ruche (Victor Erice, 1973) à L'échine du diable (Guillermo Del Toro, 2001). La différence vient de son auteur, Agusti Villaronga qui, à l'intérieur d'un univers universel, invente une forme et traite d'une réalité spécifique au pays. En mélangeant trois romans de l'écrivain Emili Teixidor, il creuse une thématique qui le travaille depuis Tras el Cristal (1986), mais cette fois-ci sur un mode plus accessible. C'est sans doute ce qui lui a valu neuf récompenses à la dernière cérémonie des Goyas (équivalents espagnols des Césars)."
(excessif).

Andreu - Frances Colomer, "l'enfant narrateur" (DR).

Le Journal du Dimanche :

- "Tendu sur une peinture très riche des ambiguïtés et des contradictions du monde catalan juste après la guerre civile, il propose un spectacle mémorable. "C’est un film émotionnel, note le cinéaste Agustí Villaronga. Il ne doit pas être une peinture de mœurs, ni la chronique d’une époque. C’est pourquoi il adopte la posture du mélodrame assez classique".
Au plus proche du regard de son héros, l’enfant narrateur, le film tire le meilleur parti de ce postulat grâce à une histoire enchevêtrée, où rien ne saurait être réduit à des oppositions simplistes. De plus, le film entrelace adroitement son atmosphère réaliste et bavarde à des débordements poétiques à la limite du fantastique, servis par de beaux effets visuels."
(22 août 2011).

Coralie Huché :

- "Scène d'ouverture : une forêt, un double meurtre, un cheval poussé d'une falaise, dont le crâne se fracasse sur la paroi. D'entrée, Pain noir, d'Agusti Villaronga, ne dissimule pas sa violence, qui contrebalance l'omniprésence des secrets à venir. Il se montre ainsi fidèle au roman d'Emili Teixidor, qui usait parfois de crudité.
Nous sommes au lendemain de la guerre civile espagnole. Après avoir trouvé les corps, le jeune Andreu est envoyé chez sa grand-mère : son père est accusé du crime, sa mère s'échine à l'usine. Mais le dernier mot prononcé par l'un des mourants, "Pitorliua", stimule la curiosité de l'enfant. Andreu passe alors son temps à écouter aux portes, à se trouver aux bons moments aux mauvais endroits (…).
Du seul point de vue du jeune garçon et à travers sa quête de vérité, on saisit les retombées de la guerre civile sur ce petit village catalan où tout le monde ment pour se protéger. Avec l'aide remarquable de ses acteurs, Agusti Villaronga tient l'ambiguïté des personnages. Ni noirs ni blancs, la plupart se présentent aussi complexes qu'humains. Gris donc, ou marron, à en croire la poussière de leurs habitations mal éclairées et la proximité des bois."
(Le Monde, 23 août 2011).

Louis Lepron :

- "Ici, point de vils riches et de courageux pauvres ; point d'idéalistes combatifs et de fascistes impitoyables. Chacun essaye de pourvoir à ses envies, à sa vie et à ses enfants. Les meurtriers et les hommes cruels ne sont pas ceux auxquels on pense.
Andreu perd ses illusions d'enfants. La caméra suit ses jambes et son dos, trouve son regard plongé dans la misère humaine, et s'accroche à sa seule arme : l'oubli.
Bien que le scénario soit parfois alambiqué tant il s'aventure vers divers sujets, la mise en scène classique permet de faire passer la trame de « Pain noir ».
En évoquant la persécution des homosexuels, en s'aventurant vers les idéaux des perdants de la guerre civile sans en rajouter et en s'attardant sur le destin tragique d'une petite fille mutilée, Agustí Villaronga réalise un film fort."
(Rue89, 24 août 2011).

Au 58e Festival de San Sebatian, Agusti Villaronga et les acteurs du Pain Noir (DR).

Sébastien Schreurs :

- "Ce Pain noir a le goût amer d’un passé tortueux dont l’Espagne n’arrive toujours pas à se défaire. Derrière l’intrigue complexe et captivante se dessine en filigrane la perte de l’innocence enfantine. Régalant jusqu’à la dernière miette...
(…)
Entremêlant trois romans de l’écrivain Emili Teixidor, Villaronga brouille vite les pistes en reléguant au second plan une histoire de règlements de comptes minant les habitants d’un village catalan qui prend sa source dans les convictions politiques des uns et des autres en pleine tourmente de la guerre civile. La force de ce récit initiatique d’une puissance psychologique rare est de se placer à hauteur du héros âgé d’à peine onze ans, premier témoin oculaire sur le lieu du crime, qui voit peu à peu d’un tout autre œil le monde des grandes personnes parsemé de secrets et de zones d’ombre. Autant le dire tout de suite, l’épilogue fait froid dans le dos. Et on comprend dès lors mieux pourquoi l’Espagne n’a pas fini de panser ses blessures..."
(aVoir-aLire, 23 août 2011).

Nicolas Gilly :

- "Sur un fil conducteur rectiligne, Agustí Villaronga tisse un drame d’une efficacité totale. Sauf que le bonhomme ne s’est pas transformé du jour au lendemain en gentil garçon qui fait des films pour toute la famille et en oublie son trop petit cercle d’amateurs. Ainsi, jouant comme un expert la carte de l’entrisme, il glisse dans son  film un propos subversif en apparence anodin ou purement provocateur, mais en profondeur d’un pessimisme terrible. Qu’il touche au thème délicat et tabou de l’éveil de la sexualité chez l’enfant, de l’attirance envers l’adulte, qu’il enrobe dans une forme de fantastique, ou qu’il impose un jugement d’une froideur extrême dans son dernier plan, le réalisateur parcourt finalement le même chemin qu’avant, sauf qu’il ne le fait plus ouvertement mais impose une lecture qui passe par le détail et la réflexion, par la symbolique également. Et c’est finalement dans les scènes en apparence les plus anecdotiques qu’il balance ses plus grosses salves, comme quand cet officier s’adresse en espagnol à Andreu qui lui répond du tac au tac, et en catalan, qu’il n’a rien compris à sa question. En deux lignes de dialogues d’une simplicité enfantine, il soulève une problématique majeure de la société espagnole et invite à y penser sérieusement."
(filmosphère, 22 août 2011).

Chris :

Pour lire la critique, reçue via les commentaires, cliquer ICI .




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jeudi 25 août 2011

P. 65. Du 16 au 26 Août 1944 : la libération de Paris

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(Doc. JEA/DR).

Mercredi 16 août 1944
Françoise Seligmann :

- "La nouvelle se répand dans Paris comme une traînée de poudre : la Parizer Zeintung, Je suis partout, Le Pilori et tous les journaux pro-allemands ont cessé de paraître, ils ont abandonné leurs locaux et leurs états-majors sont partis pour une destination inconnue. Aussitôt, les équipes des journaux clandestins prennent possession des lieux et s’installent dans les locaux qui leur sont attribués par le Conseil national de la Résistance."
(Voir note 1 - P. 239).

Jeudi 17 août 1944

Georges Suarez (2), éditorial d’Aujourd’hui :

- "Les contingences économiques, les restrictions qui, depuis si longtemps, ont gêné l’expansion des journaux parisiens, ont amené les organisateurs de presse à prendre certaines mesures dont Aujourd’hui est une des victimes. En d’autres termes, notre journal, à dater de ce moment, cesse provisoirement de paraître. Je n’ai nul besoin d’expliquer à nos lecteurs, qui ont suivi pendant quatre ans les efforts courageux de notre journal et de son équipe, avec quelle émotion je leur annonce cette nouvelle."

Le Matin :

- "Le Matin donne une dernière fois le communiqué du Grand Quartier Général de son cher Führer."

L’Echo de la France :

- "Nous comptons qu’un jour viendra bientôt où les circonstances nous permettront de reprendre notre activité. Aujourd’hui, nous demandons encore une fois à nos lecteurs de réfléchir au mal que font à notre pays et à ses habitants, les haines, les querelles et les divisions."

Françoise Seligmann :

- "En ouvrant notre poste, nous constatons que Radio Paris a cessé de mentir. Le poste est devenu silencieux et il faudra attendre deux ou trois jours avant que le voyant rouge du poste se rallume et nous livre ce premier bulletin de la « Radiodiffusion de la Nation française » :
« … Les troupes alliées sont à proximité de Paris. L’ennemi, traqué, bat en retraite avec les débris d’unités démoralisées. Les Forces françaises de l’intérieur se sont magnifiquement battues, suivant l’exemple de la France entière. L’heure est venue de chasser définitivement l’ennemi de la capitale ; la population tout entière doit se soulever, dresser des barricades, en passant hardiment à l’action : en finir avec l’envahisseur ! »
(Note 1 - PP. 241-242).

Comme rue de la Huchette, près de 600 barricades vont s'élever dans un Paris gagné par l'insurrection (Doc. JEA/DR).

Vendredi 18 août 1944

André Tollet, président du Comité parisien de la Libération :

- "Assaillie de toutes parts, harcelée, sans savoir d’où venait l’attaque, ses contacts coupés, l’armée allemande est rapidement submergée, démoralisée. Elle a peur de la ville. Elle tire souvent sans savoir, peut-être même sans regarder. Chaque civil l’effraye. Hélas, elle n’est pas seule à s’inquiéter. Il est des gens, même dans la Résistance, en premier lieu parmi ceux qui furent sceptiques au moment de déclencher l’insurrection, qui sont inquiets de ce mouvement populaire qui triomphe."
(Note 3 - P. 1592).

Françoise Seligmann :

- "Je ne peux m’empêcher de ressentir un certain malaise devant cette image insolite des FFI et des policiers transformés en frères d’armes. Je regarde ces policiers dont l’enthousiasme et la bonne volonté sont éclatants, et je me demande : « Lesquels, parmi ceux-ci, ont participé, en juillet 1942, à la rafle des 13 000 Juifs arrêtés à Paris et conduits au Vél’ d’hiv’ pour être déportés à Auschwitz ?» Mais ai-je besoin de poser la question ? Je sais bien que tous les policiers parisiens avaient été mobilisés ce jour-là, étant donné l’importance de l’opération, et je sais aussi à quelle sale besogne ils se sont livrés pour avoir entendu le récit de quelques rares rescapés qui avaient pu se cacher au moment de la perquisition de leur domicile."
(Note 1 - p. 244).

19 août, cour de la Préfecture de Police (Doc. JEA/DR).

Samedi 19 août 1944

Yves Cazaux :

- "10h environ. Nous ne verrons pas monter les couleurs qui vont flotter à la verticale au-dessus des toits. Mais des gens accourent de partout, se découvrent. Et de cette foule, en une seconde assemblée, monte une discordante Marseillaise comme je n’en ai jamais entendu de plus belle dans ma vie. Nous tentons nous-mêmes de chanter mais nos gosiers sont contractés, nous bredouillons plus que nous ne chantons. Par cinq fois, à tous les mâts de l’Hôtel de Ville, les couleurs montent au-dessus de nous et par cinq fois, c’est avec une ferveur mystique que la foule accueille le vieux rite oublié."
(Note 4 - P. 153).

20 août, mise à sac des locaux du Parti Populaire Français du collabo Doriot, rue des Pyramides (Doc. JEA/DR).

Dimanche 20 août 1944

Yves Cazaux :

- "Depuis 11h30 ce matin les échauffourées sanglantes ont repris dans Paris ; on me les signale dans plusieurs quartiers outre les alentours de la Préfecture de Police et de l’Hôtel de Ville. Les informations sont à la fois si diverses et si nombreuses et si peu précises, qu’elles sont fastidieuses. Le fait est qu’on se bat."
(Note 4 - P. 161)

Françoise Seligmann :

- "Le comportement des officiers et des soldats allemands est devenu variable, même si la plupart d’entre eux, bien conditionnés, continuent d’obéir aux ordres et de remplir leur mission dans Paris : les plus durs traversent les quartiers à toute vitesse, armés jusqu’aux dents, et tirent dans toutes les directions avec l’intention de tuer le plus grand nombre de Parisiens possible, pour assouvir leur rage et leur haine avant de laisser la place ; à l’opposé, les plus fatalistes, qui ont déjà accepté leur défaite, n’ont plus envie de se battre et se contentent de parcourir les rues pour faire de l’occupation."
(Note 1 - PP. 246-247).

Lundi 21 août 1944

René Cabirol :

- "Mon frère {Robert} a été fusillé le 21 août. Il a été arrêté par les soldats allemands, il distribuait des journaux pour dire à la population ce qui se passait exactement.
On l’a mis à la gare du Nord, avec d’autres prisonniers. Ils s’en sont servis pour décharger des trains puis ils leur ont dit : «Vous êtes libres, vous pouvez partir.» Et c’est en remontant dans la rue de Maubeuge que là, ils avaient mis une mitrailleuse sur le toit et ils ont ouvert le feu. Ils ont continué à tirer sur tous ceux qui voulaient se sauver, ils ont tous été tués."
(Note 5 - P. 56).

Yves Cazaux :

- "Dans la soirée, les premiers journaux de la Résistance : Combat, Libération, Le Front National, Défense de la France, l’Humanité, Le Populaire, Le Parisien Libéré et le très éphémère Journal des F.F.I."
(Note 4 - P. 169).

Appel aux barricades du colonel Rol-Tanguy (Doc. JEA/DR).

Mardi 22 août 1944

L’Aube

- "Faut-il encore parler de l’ex-préfet de police Bussière, de l’ex-préfet de la Seine Bouffet, de l’ex-président du Conseil municipal Taittinger, de l’ex-président du Conseil général Constant, de l’ex-syndic Romazotti ? Ils sont arrêtés et les F.F.I. font bonne garde autour d’eux."

Léon Werth :

- "Rue de l’Ecole-de-Médecine : cinq prisonniers allemands, l’air las et accablé passent, conduits par un jeune homme au brassard tricolore, revolver au poing. Image de l’histoire faisant la culbute.
C’est un film incohérent, une suite de tableaux historiques : barricades, chars immobilisés ou brûlant."
(Note 6 - P. 721).

Front National, édition du 23 août 5 heures... (Doc. JEA/DR).

Mercredi 23 août 1944

Léon Werth :

- "Quelque chose est changé, nous n’analysons plus les coups de sonnettes.
(…) Un directeur d’école libre, non collaborateur, quasi gaulliste. Mais il a peur de la « lie du peuple », des communistes et des étrangers. Il est inquiet."
(Note 6 - P. 722).

Georges Boris, communiqué pour la BBC :

- "Samedi 19 août au matin, le Conseil national de la Résistance et le Comité parisien de Libération, en accord avec le délégué national, membre et représentant du Gouvernement provisoire de la République, ont décrété le soulèvement général à Paris et dans la région parisienne.
(…) Hier, 22 août, après quatre jours de lutte, l’ennemi est partout battu. Les patriotes occupaient tous les édifices publics. Les représentants de Vichy étaient arrêtés ou en fuite.
Ainsi le peuple de Paris aura pris une part déterminante à la libération de la capitale.
(Note 7 - P. 300).

Yves Cazaux :

- "10h30. Deux appels successifs me disent que le Grand Palais est en feu, ce que je peux contrôler moi-même. Les tanks allemands ont attaqué à l’obus explosif le bâtiment où s’étaient retranchés une cinquantaine de F.F.I. avec les huit prisonniers allemands qu’ils venaient de faire. Les F.F.I. survivants, blessés ou brûlés, ont été faits prisonniers. Le Petit Palais est transformé en hôpital."
(Note 4 - P. 176).

Tract distribué par les occupants le 24 août, lire Françoise Seligmann (Doc. JEA/DR).

Jeudi 24 août 1944

Françoise Seligmann :

- "C’est en traversant le boulevard Saint-Michel que nous tombons sur un tract que l’état-major de l’armée d’occupation a fait répandre dans Paris. La lecture de ce texte nous laisse pantois : le tract fait appel à la raison des Parisiens. Il insiste sur « les sentiments d’humanité des troupes allemandes » et sur leur amour pour « ce foyer merveilleux de culture européenne » qu’est Paris. Je n’en crois pas mes yeux. Ont-ils réellement espéré que ce message serait accepté, qu’il serait cru… ?"
(Note 1 - P. 250).

Jean Guéhenno :

- "Matin. La radio américaine annonçait hier que les F.F.I. avaient libéré Paris, ce matin que le général Leclerc est entré dans la ville à la tête de son armée. Nous savons ce qu’il en est.
Que veulent dire ces mensonges ? Qui servent-ils ? Ce n’est pas même de la bonne propagande. La vérité est bien plus grande. Elle est que Paris n’accepte plus le contrôle allemand, qu’il s’est redonné lui-même des institutions libres, et que cette seule affirmation se paie, à chaque minute, de beaucoup de sang. On se bat dans l’instant même à la Cité, rue Manin, aux Lilas, partout. On construit des barricades, qu’on n’a pas d’armes pour tenir."
(Note 8 - P. 437).

Alain Louvigny :

- "J’ai vu mon père {Henri} la veille de sa mort, j’étais avec lui sur la barricade. J’avais sept ans… Il est mort à vingt-cinq ans dans la nuit du 24 au 25 août. J’ai cette dernière image de lui, sur les barricades. On avait l’impression que ça y était, ils avaient gagné.
(…) Mon père qui était lieutenant FFI, s’est trouvé sur une barricade pour interdire aux camions allemands d’aller vers la 2e DB de Leclerc, mais ils n’avaient pas beaucoup d’armes. Ils ont donc tendu un filin, carrément, en travers du boulevard Mortier, ce qui n’était pas grand-chose mais il a stoppé quand même les camions. Les Allemands sont descendus, ils avaient des grenades qu’ils lançaient en l’air. Mon père a essayé d’en relancer une et elle lui a explosé dans la main.
Il a sauvé la vie de ses hommes mais il est mort pratiquement quatre heures après."
(Note 5 - P. 144).


Pour entendre vous aussi les cloches de Paris...

Léon Werth :

- "Nous rentrons chez nous, vers sept heures. Nous nous mettons à la fenêtre. Un homme qui passe, lève le nez vers nous et nous crie : « Entendez-vous le bourdon de Notre-Dame ? »
Je ne sais comment nous avons appris que deux blindés du général Leclerc, étaient arrivés devant l’Hôtel de Ville.
Je ne savais pas que l’histoire existait. Je ne croyais pas à l’histoire. Et voici que tout est plein de résonances historiques."
(Note 6 - P. 723).

Yves Cazaux :

- "J’entendis par nos fenêtres ouvertes, aux alentours de 21h30, le branle général des cloches de Paris sonnant à la volée l’arrivée du détachement Dronne à l’Hôtel de Ville. Ne croyez pas que la sonnerie de toutes les cloches d’une grande ville frappe, étonne, émeuve par l’intensité sonore de ses timbres confondus (…). Monte une voix d’ombre, et non de jubilation, une voix de méditation : « Rentrez en vous, âmes des hommes et recueillez-vous ; l’heure est superbe mais elle est terrible parce qu’elle est unique, et que la chose unique éprouve et brûle. »
(Note 4 - P. 184).

Affiche apposée sur les murs de Paris le 25 août par le Comité Parisien de la Libération (Doc. JEA/DR).

Vendredi 25 août 1944

Camus, éditorial de Combat :

- "Ceux qui n’ont jamais désespéré d’eux-mêmes ni de leur pays trouvent sous le ciel leur récompense."

Jean Guéhenno :

- "La Liberté, la France recommence."
(Note 8 - P. 438).

Jean Marin :

- "Peu avant l’aube, le 25, je me mets en route à bord de la Jeep ; à la porte de Vanves, une foule énorme est réunie qui porte des drapeaux et des fleurs, et attend ; depuis Longjumeau, on est passé, ces dernières vingt-quatre heures, entre deux murs d’étamines tricolores.
(…) Dans l’entrebâillement de sa porte cochère, un concierge me crie : « Ne prenez pas par la rue Saint-Jacques, il y a des tireurs japonais sur les toits de la Sorbonne ! » Voici le pont d’Arcole ; les véhicules blindés du capitaine Dronne, entré le premier dans Paris, sont rangés à côté de l’Hôtel de Ville, gardés par des FFI en armes qui portent des brassards ; sur la place, un habitant du quartier vient souhaiter la bienvenue au nouvel arrivant dans les lieux ; il est ému, sans doute ; il me dit seulement : « Alors, quoi de neuf ? »
(Note 9 - P. 401)
de Gaulle, Hôtel de Ville de Paris :

- "Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle !"
(Note 3 - P. 1591).

Couverture de l'une des multiples brochures retraçant en photos la libération de Paris (Doc. JEA/DR).

Samedi 26 août 1944

Adrien Dansette :

- "Des ateliers de Montparnasse et des entrepôts de Bercy, des taudis de la rue Mouffetard et des boutiques du faubourg Saint-Antoine, des hôtels de l’avenue Foch et des baraquements de la zone, hommes, femmes, enfants, les Parisiens sont accourus, de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu’ils approchaient, s’agglutinant les uns aux autres en une fourmilière intense. A 3 heures de l’après-midi, c’est un peuple immense, pressé en gradins irréguliers formés de chaises de fer, d’escabeaux et d’échelles qui attend, le long d’un parcours illuminé de tricolore, le passage d’un glorieux cortège.
(…) La musique des gardiens de la paix ouvre le ban : c’est le général de Gaulle qui arrive.
(…) Des autos à haut-parleur sont passées dans la foule : « Le général de Gaulle confie sa sécurité au peuple de Paris. Il lui demande de faire lui-même le service d’ordre et d’aider dans cette tâche la police et les FFI fatigués par cinq jours de combats…"
(Note 10 - P. 410)

Jean Marin :

- "Sur le parvis de Notre-Dame, on tire on ne sait où ; au feu répond le feu ; je vois un tirailleur marocain qui, blessé, enlève en même temps sa chaussure et son pied. Le bruit de la fusillade inimaginable, dont les balles ont ricoché jusque sur les dalles du saint lieu, va bientôt s’apaiser comme il avait éclaté.
Dans la nef de la basilique s’élève le chant du Magnificat, plus humble et plus beau que le Te Deum : « Deposuit potentes de sede et exaltavit humiles ».
(Note 9 - P. 404).

Paris ! 25 août 1944 (Doc. JEA/DR).

NOTES :

(1) Françoise Seligmann, Liberté, quand tu nous tiens, I, Préface de Pierre Joxe, Fayard, 2000, 394 p.

(2) Lire P. 20 de ce blog.

(3) Alain Guérin, Chronique de la Résistance, Préfaces de Marie-Madeleine Fourcade et de Henri Rol-Tanguy, omnibus, 2000, 1806 p.

(4) Yves Cazaux, Journal secret de la Libération, 6 juin 1944-17 novembre 1944, Albin Michel, 1974, 351 p.

(5) Philippe Castetbon, Ici est tombé, Paroles sur la Libération de Paris, Photographies de François Rousseau, Préface de Bertrand Delanoë, Ed. Tirésias, 2004, 129 p.

(6) Léon Werth, Déposition, Journal 1940-1944, Texte de Lucien Febvre, Présentation et notes de Jean-Pierre Azéma, Viviane Hamy, 1992, 734 p.
Lire aussi P. 65 ses impressions sur le procès Pétain.

(7) Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Georges Boris, Trente ans d’influence, Blum, de Gaulle, Mendès France, Gallimard, 2010, 460 p.

(8) Jean Guéhenno, Journal des années noires (1940-1944), Gallimard, folio, 1973, 438 p.

(9) Jean Marin, Petit bois pour un grand feu, mémoires, Fayard, 1994, 567 p.

(10) Adrien Dansette, Histoire de libération de Paris, Fayard, 1946, 533 p.

A Paris, en une semaine, ils l'ont "eu"... (Doc. JEA/DR).

lundi 22 août 2011

P. 64. Du Massacrier au Vif Coeur...

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Seigneronces (Ph. JEA/DR).

Toponymie 6 :
Entre le Bois Chat
et la Terre aux Pies
tels souvenirs de Monts et de Merveilles...

Au Massacrier

Beaumangu
Biesse, Bissachère
Bousuivre

Bois Bruscail, Chat, Mulet, Perlé
Bois de Frelon
Bois de la Fée, de la Mange, de la Pendue, de la Pouge, de la Vétérine
Bois d’Enfer
Bois des Bisses, des Bessyes
Crot du Bois

Chalatofray, Chalumet, Champaillard
Chante-Bise, Chantefay, Chantoiseau
Chassignol, Chatillatard
Chevalinon
Conforchon

Château de la Ronze, de Pramenoux, des Fougères

Chez Balthazard, Barraquand, Bérole
Chez Caton, Chenevier, Clairot, Cœur, Couqué, Couty, Cuisset,
Chez Dalléry, Dejoint, Delorme, Dulac, Durantin
Chez Faurézien, Furin
Chez Gabotin, Gaidon, Gampaloux, Gerbe, Gopinet, Grenier, Grizonnet
Chez Jean Mathieu
Chez le Blanc, Legras, Leroux, Liange, Limoges
Chez Martignon, Martin, Messire, Michard, Millaud, Minet,
Chez Nantes, Nesme
Chez Odar
Chez Paradis, Parié, Pelousa, Pérasse, Perdrix, Permis, Pirote, Ponteille, Poulet
Chez Remède, Rodin
Chez Sadot
Chez Tivin, Thévenan, Tornados, Triomphe
Chez Vermare, Vial, Villachon

Souzy (Ph. JEA/DR).

Cime de Cours

Col de la Cambuse, de la Casse Froide, de la Croix Marchampt, de la Roche Perrin,
Col des Cassettes, des Ecorbans,
Col du Pain Bouchain

Crêt Bizet, Courrier,
Crêt de la Bonne, de la Grêle, de la Grole, de la Renardière
Crêt de l’Ail, de l’Heule, de l’Oiseau,
Crêt de Joux, de Ruire
Crêt des Alouettes, des Bottières, des Chaux, des Ferrières, des Seux
Crêt du Devant

Croix au Loup
Croix Baleu, Bouillard, Chavouin, Coyard, Montmain, Papir
Croix de la Fin, de la Main, de la Moule
Croix de Charmette, de Monsieur Jean
Croix de l’Equillon
Croix des Aliziés, des Ardilliers, des Cieux, des Cros, des Perches, des Planches
Croix du Fou, du Lièvre, du Plat, du Sec

En Foussemagne

Fonds Carrés, Foupeysson, Fourchevieille

Jerusalem

Goguelu, Gorgeroulles

Gouttelafay
Gouttes Noires
Goutte Romaine, Rouchon, Sourde
Grande Goutte

Grange du Prince, Plate

La Chevrelus (Ph. JEA/DR).

La Baratonière, La Bichée, La Blancherie, La Bruchevalière
La Cantinière, La Cassefroide, La Chevrelus, La Chirette, La Clette, La Cytrière
La Fontanière
La Font Chevalier, La Font Curé
La Gailloudière, La Gambole
La Gougeaterie, La Goutardière, La Gouttelerie
La Grande Terre de Villon
La Haye du Pont
La Joie, La Jorbertière
La Lièvre
La Moussière
La Nuizière d’en Haut
La Patience, La Piaffe, La Pierrasse, La Place aux Filles, La Pointe du Jour
La Raterie, La Rejaunière, La Renarde, La Rochonnerie, La Rosée
La Salette, La Seigne Noyer, La Sonnerie
La Tisserie, La Triche, La Tronchée
La Villoterie, La Voisinée

Le Barbichon
Le Bonnetin, Le Bon Saint-Jean, Le Bossu, Le Bout du Monde
Le Brouillard
Le Caire
Le Champhon, Le Charbonnier, Le Chardon
Le Chêne Pignard
Le Clair, Le Clapier
Le Coucou
Le Crétolier, Le Creux de Sable
Le Cul du Loup
Le Damné
Le Haut de Ruères
Le Magot, Le Marduel
Le Montessuis
Le Moulin de la Planche Simon, le Moulin Dieulard
Le Musset
Le Parasoir
Le Peineau, Le Perroquet, Le Petit Pannissières, Le Pointu, Le Pouet
Le Roule
Le Sapaly, Le Sarrasin, Le Saule d’Oingt, Le Souffle
Le Tique, Le Torrichon
Le Verchat, Le Véroche

L’Horme d’Aigueperse

Les Acacias, Les Aidons, Les Angles, Les Assintres
Les Bachasses, Les Balaques
Les Besaces
Les Cadolles, Les Cerfoneries, Les Chaudures, Les Chenerailles, Les Chizeaux, Les Clachères, Les Clapons
Les Doudins
Les Entremains, Les Eperons
Les Feuillerettes, Les Fondrus, Les Fouillouses
Les Gaffières, Les Glandes Publiques, Les Gonnachons, Les Grands Butins
Les Harrivières
Les Jacquetières
Les Limacières, Les Louites
Les Monneries d’en Haut, Les Murards
Les Oiseliers
Les Pendants, Les Perdus, Les Pérelles, Les Petites Fayes
Les Quatre Vents
Les Sagnauds, Les Saignes
Les Taillis Chauffés
Les Valentines, Les Veines, Les Verdonnières, Les Voisinées
Les Ybesses
Les Zachères

Lespinasse

Chansayes (Ph. JEA/DR).

Madame de Verbin

Montachelet, Montbétra, Montchanin, Monterbout, Montermot, Montgalland, Montprier, Monturbin
Mont des Lards
Mont Jonc
Mont Tournissou
Propremont

Pied de Pey

Pierre à l’Ane, Pierre Longue

Pizeroux

Plat des Mollards

Prélande

Roche à Faut
Roche Charmante
Roche de la Lumière, des Fées, du Point Perdu
Roche Montifet

Sardinat

Sur le Cheval

Terre aux Pies, Terre Mode, Terres d’Eté

Verpuits

Vers Bœuf

Vif Coeur

Volaille

Pluie sur Les Gouttes (Ph. JEA/DR).


Autres pages inspirées par la toponymie :

- 53 : De la Bouquinerie au Tournebut.

- 41 : Du Creux de la Lie à la Nuizières d'en Haut.

- 30 : Châteaux en Condroz.

- 17 : Condroz des bois.

- 4 : Lieux-dits en un recoin du Condroz.

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jeudi 18 août 2011

P. 63. aLLain Leprest ne demande plus de ses nouvelles

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Quand les crabes eurent presque fini de désertifier, de dévaliser, de vandaliser, de vampiriser, d'annuler, d'anéantir sa vie
qu'ils eurent vidé ses poches et ses bouteilles et ses greniers et ses calendriers
tandis qu'en France, l'euthanasie appartient toujours au royaume des hypocrisies à moins qu'elle ne soit étiquetée "délit majeur"

ce 15 août 2011
le pied-de-nez d'Allain Leprest
à son panier de crabes 





... dernières paroles
derniers airs résumant presque tout
le suicide comme un saut dans un vide
à l'ombre de la montagne et de Ferrat
un chiffon rouge autour du cou




C'est peut-être...

- "C'est peut-être Mozart le gosse qui tambourine
Des deux poings sur l'bazar des batteries de cuisine
Jamais on le saura, l'autocar du collège
Passe pas par Opéra, râpé pour le solfège.

C'est peut-être Colette la gamine penchée
Qui recompte en cachette le fruit de ses péchés
Jamais on le saura, elle aura avant l'heure
Un torchon dans les bras pour se torcher le coeur.

C'est peut-être Grand Jacques le petit au rire bête
Qui pousse dans la flaque sa boîte d'allumettes
Jamais on le saura, on le fera maçon
Râpé Bora Bora, un mur sur l'horizon.

C'est peut-être Van Gogh le p'tit qui grave des ailes
Sur la porte des gogues avec son opinel
Jamais on le saura, râpé les tubes de bleu
Il fera ses choux gras dans l'épicerie d'ses vieux.

C'est peut-être Cerdan le môme devant l'école
Qui recolle ses dents à coup de Limpidol
Jamais on le saura, KO pour ses vingt piges
Dans le ring de ses draps en serrant son vertige.

C'est peut-être Jésus le gosse de la tour neuf
Qu'a volé au Prisu un gros œuf et un bœuf
On le saura jamais pauvre flocon de neige
Pour un bon Dieu qui naît, cent millions font cortège."



Ernest Pignon-Ernest (1), le sculpteur salué par Allain Leprest (DR).

Le sculpteur et le cerisier 

- "Petit, voici l'heure des fruits mûrs
Combien sont morts contre ces murs ?
Jetez aux chiens les confitures
Qui ont endeuillé leurs chemises

On a crié "Plus rien ne bouge !"
Mais sous les gouttelettes rouges
Un sculpteur a posé sa gouge
Espérant que le vent l'aiguise

Depuis l'automne en mois de mai
Au milieu des noyaux mort-nés
Une vieille douille a germé
Comme un affront à la bêtise

Éclos d'une balle rouillée
Au ciel il fuse un cerisier
Qui dit "Je fus un fusillé
Je témoigne des saisons grises"

Qui dit "Petit, je suis témoin
Prends mes racines de fusain
Et trace de tes propres mains
La promesse de mes cerises

Prends la force que je te tends
Je suis le Clément d'un instant
Je suis le gisant qui attend
Que la sève et l'amour l'irise

Qu'on re-danse autour de mon tronc
Un jour, mes bras refleuriront
Les enfants moqueurs changeront
Mes blessures en gourmandises"

Et le sculpteur en s'endormant
À l'ombre de son monument
Rêve dans un sourire gourmand
Qu'il a barbouillé sa chemise."




Témoignage de Cerise Marithé :

- "Je l'ai vu sur scène le 15 février 2011 ... C'était hallucinant ! je ne sais comment il tenait debout ... mais il était là, avec toute sa passion ...il a animé des ateliers d'écriture, chanté seul, vacillant et chanté avec une de ses "complices", Franscesca Solleville ...

"J'ai reçu ce matin la lettre où tu m'écris
De prendre soin de moi et je t'en remercie
Que tu vas me reviendre et tout ça et qu'on s'aime
Et arrose les fleurs une fois par semaine"

Duo avec Yves Jamaït que j'aime beaucoup "J'habite tant de voyages":

"Je sais je sais c'est le monde
Partout où mènent mes pas
Je ne m'en retranche pas
Je le sais c'est notre monde
C'est le cocon des humains
Mais est-ce le mien ?"


NOTE :

(1) Merci à Lautreje qui consacra une page lumière de son blog à Ernest Pignon-Ernest, "artiste engagé".
Lien direct : cliquer ICI.

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lundi 15 août 2011

P. 62. 15 août 1945 : fin du procès Pétain que Léon Werth suivait pour "Résistance"

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Léon Werth,
Impressions d'audience, Le procès Pétain,
Présenté et annoté par Christophe Kantcheff,
Viviane Hamy, 1995, 155 p.

4e de couverture :

- "Ces "Impressions", Léon Werth les donna au journal Résistance après chaque audience de ce qui devait être le procès de Pétain. "La passion de la vérité ne parut jamais indiscrète", ironise-t-il. Et sa plume brillante se donne libre cours."

Gilles Heuré :

- "Sur les bancs de la presse, le journaliste et romancier Léon Werth (1878-1955), revenu du Jura où il fut contraint de se cacher pendant quatre ans afin d'échapper aux Allemands, assiste pendant les mois de juillet et août 1945 au procès du maréchal Pétain devant la Haute Cour de justice.
Ses articles publiés dans le journal Résistance constituent un témoignage extrêmement précieux pour comprendre comment cet épisode judiciaire capital, où le principal acteur n'était qu'un fantôme immobile au képi à feuilles de chêne, fut aussi un événement manqué. Dans un style au scalpel, Werth en restitue toute la dramaturgie."
(Télérama, 2 juillet 2011).

Philippe Lançon :

- "Pour le quotidien Résistance, le romancier Léon Werth (1), juif, réfugié pendant quatre ans dans le Jura (2), suit devant la Haute Cour de justice ce qui s’apparente, après la tragédie vécue par le peuple, à une comédie au sommet. Dans un style sec, sur un ton sans illusions mais non sans ironie, il fait de formidables croquis nerveux des principaux acteurs de la débâcle et de Vichy : Reynaud, Herriot, Lebrun, Laval, les généraux Weygand et Gamelin. Seul Léon Blum sort grandi de ce dîner de têtes.
Laval ? «Laval construit un Laval angélique. Ce n’est pas un ange. Cependant, ce politique, adroit à manœuvrer les assemblées et les hommes, m’apparaît par instants d’une déconcertante ingénuité. Il croit à la vertu magique des mots.»
Weygand ? «Son visage est ciselé, serti, parfaitement goupillé. Et cependant il y a en lui on ne sait quoi de furtif, on ne sait quoi de nocturne.»
Werth décrit un théâtre violent, ridicule, où, autour du Maréchal muet, chaque témoin récite la tirade qui l’avantage, le lieu commun qui le blanchit. La vérité est dans les regards, gestes, tics, pas dans les mots. Ce sont des pantins qu’on écoute, pantins d’eux-mêmes mais responsables des autres."
(Libération, 7 juillet 2011).

NB : Ces deux critiques ont été rédigées suite à la réédition de juin 2011. Par contre, les Impressions résumées et rassemblées ci-après, portent les références de l'édition de 1995. 

Il était une fois une imagerie mélangeant allègrement Epinal et St-Sulpice (Mont. JEA/DR).

Du 24 juillet au 15 août 1945,
"un Maréchal de France devant son destin"...

Léon Werth, mardi 24 juillet 1945

- "L'homme qui comparaît devant la Haute Cour a derrière lui on se sait combien de légendes contradictiores. Héros de Verdun, maniaque de la capitulation, masochiste de la défaite. Collaboration et double jeu. Sans lui "la défaite eût été pire". Les enfants des écoles chantaient Maréchal nous voilà. Il fut le maréchal de pastorale. Il fut le sauveur providentiel. Il fut le traître nuancé à l'image des traîtres que nous montre l'Histoire. Il fut le traître de mélodrame et de cinéma."
(P. 25).
- "Le greffier lit l'acte d'accusation (...) : 
"Complot contre la République."
On ne sait pas si Pétain hoche ironiquement la tête ou s'il souffre d'un tic nerveux. Ecoute-t-il même ? Il fait penser à un juge distrait qui attendrait avec un peu d'impatience une fin d'audience. Il est calme, étonnament calme."
(P. 28).

Mercredi 25 juillet 1945

- "On nous a dit que ce procès était un des plus grands procès de l'Histoire. Cela n'empêche que cette seconde audience fut assez terne. Par instants, l'Histoire semblait loin et les ragots trop proches."
(P. 30).

Vendredi 27 juillet 1945

- "On n'a pas le sentiment qu'il souffre et on n'a pas de la pitié. Un vieillard est assis dans son fauteuil, comme un vieux juge qui aurait demandé au président l'autorisation d'assister à l'audience. Peut-être a-t-il oublié et Verdun et Montoire, et Foch et Hitler."
(P. 43).

Samedi 28 juillet 1945

- "Le pouvoir de Pétain était presque bouffon par son énormité : un pouvoir de roi nègre. Dire qu'il a trahi la République, c'est encore une expression équivoque. En juin 1940, un pays restait abasourdi par l'énormité de la défaite. On a dit au pays : "l'armistice dont tu crois qu'il te dégrade et te livre, est un acte conforme à l'intérêt de la patrie." L'homme qui tenait ce langage parlait au nom de la Gloire et de l'Honneur. Cet abus de confiance morale, je crois que c'est la trahison."
(PP 50-51).
- "Le Maréchal, continua Léon Blum, est un mystère que je ne comprends pas !
On vit alors le Maréchal dans la position d'un opérateur de vues, dresser la tête vers M. Léon Blum; regarder le visage de M. Léon Blum. C'était la première fois depuis la première de ces audiences que le Maréchal posait les yeux sur un visage d'homme.
- Le Maréchal, continue M. Léon Blum, est un mystère que je ne comprends pas. Je ne puis saisir les vrais mobiles de ses actes : ambition, mobiles personnels, desseins depuis longtemps prémédités ou soudain conçus dans le désastre de la patrie ?...
Alors le Maréchal, le maréchal du silence et de l'immobilité, le bras collé au corps, fit de l'index, un geste de dénégation."
(P. 52).

Dimanche 29 et lundi 30 juillet 1945

- "Que se passe-t-il en lui [Pétain] ? A-t-il les pensées du "puni de salle" qui ne regrette que son droit de sortir en ville ? Regrette-t-il son destin interrompu ou bien - hypothèse romantique - se fait-il horreur à lui-même, ou bien, cédant à la somnolence des vieillards, ne s'intéresse-t-il plus à rien, ni à lui, ni aux autres, ni à son procès et se dit-il simplement, comme nous : "C'est long !"
(P. 56).
- "Un juré voudrait quelques précisions sur la livraison de M. Mandel (3) et de M. Reynaud (4) aux Allemands.
Le Maréchal consent à parler :
- Je ne peux pas, dit-il, répondre à une question que je ne comprends pas.
La question était si simple qu'on ne comprend pas la réponse. Le Maréchal veut-il dire qu'il n'a jamais entendu parler de M. Mandel et de M. Reynaud ?"
(PP 57-58).

Pétain, ombre tutélaire de l'Etat Français (Doc. JEA/DR).

Jeudi 2 août 1945

- "On sent que quelque chose est changé. La vie entre dans un procès mort qui semblait le procès d'un mort.
(...) Voici qu'ont pénétré dans la salle de la Haute Cour des vivants et des morts qu'on n'avait pas encore convoqués : ces soldats français qui, par ordrte du Maréchal, moururent en Afrique pour l'Allemagne, les torturés, les fusillés, les vicants squelettiques et les morts de faim, tous ceux que la police de Vichy livra à la Gestapo, tous ceux et toutes celles de Dachau, de Mauthausen, d'Auschwitz (5) et de Buchenwald. Et aussi - puisque le général Weygand parla de l'honneur français - ces prisonniers politiques allemands que Vichy livra à Hitler."
(PP. 78-79).
- "Le général Hering (6) vint à la barre. Il présenta le Maréchal comme "un héros impavide et lumineux."
Il affirma qu'il ne fallait pas opposer l'un à l'autre le général de Gaulle et le Maréchal; que les rôles qu'il leur avait été assignés par la Providence étaient complémentaires.
On croyait qu'il présidait la distribution des prix du Lycée Philippe-Pétain.
Le président demanda au général Hering comment il conciliait en parfait accord de la dissidence et de Vichy, la condamnation à mort du général de Gaulle par le maréchal Pétain." (7)
(P. 81).

Vendredi 3 août 1945

- "Comme le général Sérigny (8), M. Trochu (9) nous montre un Pétain incapable de se délivrer de ses ministres et, en même temps, jouant un jeu subtil, un souterrain double jeu.
Ainsi, à la légende du Maréchal-Providentiel se substitue la légende d'un Pétain-roi-Mérovingien, un collaborateur occulte du général de Gaulle."
(P. 88).

Mercredi 8 août 1945

- "Il faut accorder aux témoins à décharge qu'ils ne se sont pas concertés. Les uns construisent à la barre un Pétain irresponsable, une sorte d'Ubu-Roi; les autres un Machiavel pour qui le suprême devoir est de sauver l'Etat. Quelques-uns sont d'une naïve ingénuité. Au portrait qu'ils font de Pétain, ils ajoutent un portrait d'eux-mêmes par eux-mêmes et ils se décernent, j'allais dire à tour de bras, des croix de guerre et des palmes."
(P. 107).

Jeudi 9 août 1945

- "La déposition d'un avocat, qui fut de 1941 à 1944 préfet de Vichy (10), révéla un curieux mécanisme de pensée. Avant qu'il ne fut nommé, il avait eu, dit-il, quelques entretiens avec le Maréchal. Il ne lui avait pas caché qu'il était un adversaire de la politique de collaboration, qu'il "se dressait contre cette politique". A quoi Pétain - ici on croit rêver - lui répondit qu'il était en parfait accord avec lui. Ainsi, surfait dans l'ombre des débats un Pétain anti-Pétain."
(P. 113).

Caricature signée Arthur Szyk, New-York, 1941 (Doc. JEA/DR).

Samedi 11 août 1945

- "Bizarre effet de ces audiences : on ne sait plus quel Pétain on juge. On ne sait plus, pour lui restituer une apparence de vie et de réalité, laquelle de ses légendes il faut invoquer. Où sont donc les journaux d'après la débâcle (11) où les journaux de la zone Sud le comparaient à Napoléon pinçant l'oreille de ses grognards ? Où est le temps où les petites filles porteuses de bouquets éclataient en sanglots quand elles ne pouvaient l'embrasser ?
Ce fut ensuite le Maréchal prisonnier de l'occupant et des hommes de Vichy.
Entre ces diverses incarnations, les témoins de la défense semblent retenir celle d'un maréchal de la résistance. Mais ils le dessinent en traits vagues."
(P. 122).

Dimanche 12 et lundi 13 août 1945

- "Réquisitoire du procureur général Mornet (12).
Il reprend rapidement tous les griefs qu'il vient d'étudier : armistice conclu dans la honte, l'abus de confiance à l'égard de la Nation, acceptation définitive de la défaite, servilité à l'égard de l'Allemagne, la guerre sournoise contre l'Angleterre, les persécutions.
(...) Cent cinquante mille otages fusillés; sept cent cinquante mille déportés au travail; la flotte détruite; cent dix mille déportés politiques; cent vingt mille déportés raciaux (13). Il y a quelque chose de pire; pendant quatre ans cette politique a failli nous déshonorer. Elle a jeté un doute sur l'honneur de la France. C'est le crime le plus grave commis envers la patrie."
(PP. 137-138).

Mardi 14 août 1945

- "L'audience est ouverte. Me Payen commence sa plaidoirie. Il se lève, dit-il, avec une immense tristesse. Il ne conçoit pas que "la doulce France" ait pu accuser ce vieillard glorieux. Il tient ces débats pour humiliants.
Notre curiosité espérait un argument inattendu, on ne sait quel éclat. Attente vaine, Me Payen entra immédiatement, sinon dans le vif du sujet, tout au moins dans le vif du lieu commun.
- Le Maréchal, dit-il, fut toujours animé du plus pur sentiment du devoir."
(PP. 140-141).

Mercredi 15 août 1945

- "Les débats ne révélèrent rien. Ils furent sans solennité, comme ils furent sans ordre. Des hommes politiques, des généraux, tinrent des conférences à la barre ou s'abandonnèrent en toute liberté, à d'inutiles et tendancieuses conférences. En ce tribunal de limbes, des événements appauvris, vidés de leur substance, s'assemblaient au hasard, comme dans une mauvaise copie de bachot. Le maréchal réel et le maréchal de légende devenaient indistincts, comme une photographie s'efface, mangée par la lumière. Et l'on ne savait plus si l'on avait devant soi un vieillard au regard vide, à la voix détimbrée ou le maréchal de trahison ou le maréchal des bonnes gens. Le verdict, du moins, doit apporter sa brutale certitude."
(PP. 146-147).


Par 14 voix contre 13, le jury de la Haute Cour a condamné à mort Pétain ainsi qu'à l'indignité nationale et à la confiscation de ses biens.
(Une des Nouvelles le 16 août 1945 et Me Isorni défendant Pétain - Mont. JEA/DR).

NOTES :

(1) En 1943, Léon Werth est le dédicataire du Petit Prince de Saint-Exupéry.

(2) Lire : Léon Werth, Déposition, Journal 1940-1944, Viviane Hamy, 1992, 734 p.
Dès le 11 décembre 1942, il note dans ce Journal :
- "Pétain s'enfonce dans l'histoire. Pétain n'est plus qu'une ombre. Déjà on lui prépare des funérailles anti-nationales". (P. 400).

(3) Georges Mandel (1885-1944). Dénonça dès les années 1930, les dangers pour la démocratie du nazisme et de Hitler. Ministre de l'Intérieur le 18 mai 1940. Arrêté sur ordre de Pétain le 17 juin. Libéré, il s'embarque pour le Maroc afin de continuer la guerre. A nouveau arrêté le 8 août par l'autorité militaire française. Transféré en France, condamné le 7 novembre 1941 à la prison à vie par la cour de Riom. Enfermé au Portalet jusqu'à sa remise aux Allemands qui le mettent successivement dans les camps de Sachsenhausen puis de Buchenwald. Le 4 juillet 1944, les Allemands le reconduisent à Paris pour le remettre aux mains de la Milice. Assassiné par celle-ci le 7 juillet en forêt de Fontainebleau.

(4) Paul Reynaud (1878-1966). Député, ministre sous la IIIe République, président du conseil du 22 mars au 17 juin 1940. Pétain le fait mettre à l'ombre dès le 5 septembre 1940. En 1942, déporté en Allemagne où il sera libéré le 7 mai 1945.

(5) Dans l'énumération des camps, Auschwitz ne figure pas en première place. En août 1945, les priorités (accueil, reconnaissance, aides) restaient données aux déportés politiques. L'évocation des persécutions raciales resta très marginalisée lors du procès Pétain comme au cours des autres procès de la collaboration (lire : le procès Céline, p. 7).

(6) Pierre Hering (1874-1963). Commandant militaire de Paris en mars 1940.

(7) Lire : "Haïssez de Gaulle", p. 44. Léon Werth qualifiait Henri Béraud d'"automate de l'invective".

(8) Bernard Sér(r)igny (1870-1954). Membre du comité d'honneur de l'Association pour la défense de la mémoire du maréchal Pétain (créée en 1951).

(9) Charles Trochu. Président du conseil municipal de Paris sous l'occupation.

(10) François Martin (1900-1964). Vota les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. Préfet à Montauban de septembre 1941 à la fin 1944.

(11) Lire : César Fauxbras, La Débâcle, p. 45.

(12) André Mornet (1870-1955). Procureur pour des procès aussi différents que celui de l'espionne Mata-Hari ou celui de Pierre Laval. Sous Vichy, avait prêté serment de fidélité à Pétain...

(13) Ces chiffres appellent les corrections suivantes, avec le recul et une étude des archives : 25 à 30.000 fusillés en France. Déportés politiques : 42.000. Déportés raciaux : 75.000.

Caricature de Philippe Zec publiée par le Daily Mirror en 1940, dans le contexte de "l'affaire de Dakar" (Doc. JEA/DR).

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